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Vers un modification de la Lex Weber ?

Il devrait être bientôt possible de démolir et agrandir d’anciens logements en résidences secondaires. Mais les fronts sont toujours aussi inconciliables.


C’est une décision qui a traumatisé tout un canton en 2012. Il y a douze ans, l’initiative pour limiter les résidences secondaires à 20% était adoptée au grand dam des régions alpines, Valais en tête. La loi qui en découle, nommée Lex Weber, n’a été adoptée qu’en 2016 au forceps et voilà qu’il est déjà question de la modifier. Après le Conseil national l’automne dernier, la commission compétente du Conseil des États vient de donner nettement suite à cet assouplissement dont l’adoption finale ne fait plus vraiment de mystère.


Le diable se cache, toujours, dans les détails alors revenons aux origines. En juin 2020, Martin Candinas, élu du Centre dans les Grisons, dépose ce qu’il dit être «une petite modification» de la Lex Weber. «Un léger assouplissement», précise-t-il, qui doit permettre aux propriétaires d’anciens logements de les remettre au goût du jour et de les financer plus facilement.


Favoriser la rénovation


On s’explique. Dans les communes concernées, la Lex Weber prévoit qu’il soit possible d’agrandir une habitation bâtie avant 2012 de 30% de sa surface utile. En parallèle, elle autorise la démolition et la reconstruction d’un logement construit avant 2012 mais uniquement en gardant une surface identique. En revanche, les deux modifications ne peuvent être cumulées.


Par ailleurs, aucun nouveau logement ne pouvait être créé dans les espaces résultant de cet agrandissement. C’est l’ensemble de ces dispositions que Martin Candinas souhaitait assouplir. Pour faire simple, cela permettrait à des propriétaires de démolir et refaire à neuf leurs logements anciens en les finançant, par exemple, par un nouveau studio occupant la surface supplémentaire – lequel serait vendu en tant que résidence secondaire. En clair, l’idée de base vise à sauver du patrimoine.


Vers une hausse des prix?


Or il s’est très vite avéré que la portée était autrement plus importante et surtout qu’elle ouvrait la porte à un véritable business. En effet, il ressort de rapports de l’Administration fédérale que près d’un demi-million de logements sont concernés, dont la majorité est située dans des «hotspots» touristiques comme Verbier (VS), Crans-Montana (VS), Zermatt (VS), Saint-Moritz (GR), Davos (GR) ou Gstaad (BE). Souvent placés en plein cœur des stations et historiquement occupés par des indigènes, ces biens pourront donc être luxueusement agrandis et revendus en résidences secondaires.


«Les locaux ont déjà énormément de mal à se loger dans ces stations et cela ne va qu’accentuer le problème.»


Christophe Clivaz, conseiller national (Les Verts/VS)


«Les locaux ont déjà énormément de mal à se loger dans ces stations et cela ne va qu’accentuer le problème. On va voir débarquer des investisseurs qui rachèteront ces habitations et, sous l’effet de la spéculation, elles deviendront encore plus inaccessibles», s’inquiète le conseiller national Christophe Clivaz (Les Verts/VS). À terme, le risque est de voir ces stations devenir des villages sans vie hors des périodes de très haute fréquentation.


Déjà 5000 logements revendus


Et même sans pouvoir être agrandis, ces logements sont déjà pris d’assaut: dans un rapport rendu au printemps 2023, l’Administration fédérale estime que jusqu’à 5000 anciens logements ont ainsi été revendus en résidences secondaires, générant de juteuses opérations financières au passage. Cela à l’image de l’histoire que nous vous racontions de ce riche Italien, établi à Verbier, qui avait revendu en logement de vacances son ancien appartement du centre de la station pour s’acheter une résidence principale en périphérie, garnissant son compte en banque de 4 millions de francs au passage. 


Toutes les propositions limitatives de Christophe Clivaz, qui est aussi professeur en politique touristique à l’Université de Lausanne, ont été balayées. Même le Conseil fédéral a tenté de freiner la réforme en avertissant que la création de nouvelles résidences secondaires dans les logements agrandis serait anticonstitutionnelle, en vain.


«Dès le début, il était clair de la part des initiants que ce qui avait été bâti avant l’initiative ne serait pas touché.»


Beat Rieder, conseiller aux États (Le Centre/VS)


Président de la Commission de l’aménagement du territoire du Conseil des États, Beat Rieder (Le Centre/VS) s’en accommode. «Dès le début, il était clair de la part des initiants que ce qui avait été bâti avant l’initiative ne serait pas touché. Or on a assisté à l’inverse avec des restrictions inadmissibles, il est temps de corriger cette situation.»


La loi à l’origine du problème?


Quant au risque évoqué de voir les stations se vider de leurs habitants, il rappelle que c’est au fédéralisme de jouer son rôle. «Les communes peuvent prendre des mesures pour éviter cela», ajoute Beat Rieder. Historiquement, Zermatt avait essayé bien avant la Lex Weber mais elle était bien seule à jouer ainsi contre un marché en surchauffe. «En voulant régler ces questions avec une loi fédérale, on a créé une situation absurde qui n’a fait que provoquer des hausses de prix exorbitantes. Cette loi ne va pas résoudre un seul problème», assure-t-il.


Une position différente de celle du Conseil fédéral, qui, dans deux rapports successifs de 2021 et 2023, estime que la Lex Weber n’a pas eu d’effets négatifs qui imposeraient sa révision. Pour Vera Weber, présidente de la Fondation Franz Weber à l’origine de l’initiative, c’est même «le parlement qui s’apprête à aggraver une situation catastrophique qu’il a lui-même créée en autorisant de nouvelles résidences secondaires.»


Signe de visions inconciliables, le gouvernement valaisan, dans sa prise de position sur la modification de la loi, appelle à «une révision générale qui s’impose de toute urgence». Pour Vera Weber, c’est la preuve «d’une volonté d’ouvrir la boîte de Pandore qui invite à la plus grande prudence». Et de dénoncer ces mêmes cantons qui, pourtant contraints par la loi de prendre des mesures pour freiner les effets indésirables de ce business de revente, «observent en restant les bras croisés et pointent du doigt les initiants».


Source : Journal Le Matin Dimanche (21.01.2024)


Texte Julien Wicki


Image : Chantal Dervey


 

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